Le patrimoine régional comporte parfois des trésors insoupçonnés pas très loin desquels on peut habiter en en ignorant totalement l’existence. C’est le cas de l’œuvre de Pierre Honoré, artiste-paysan ayant vécu à la Sauvagère sur la commune de Gesvres dans le Nord-est mayennais.
Il faut dire que Pierre Honoré, né en 1925 dans la petite commune toute proche de Saint-Julien-des-Églantiers et décédé en juillet 2009, n’a jamais cherché à se faire connaître. Il a sculpté dans une meule de granit les fonds baptismaux de l’église de Saint-Julien-des-Églantiers et dans l’église de Gesvres (où il a été adjoint au maire pendant six années) l’autel, refait en 1967, comporte une de ses sculptures. Mais il n’a jamais vendu une seule de ses œuvres et n’a jamais cherché la reconnaissance du public ou la notoriété. Vous trouverez fort peu de choses sur lui sur Internet !
Par contre, pour aider les autres artistes amateurs il a crée le Club Artistique de l’Ouest dont il a été président avant de passer le relai à son actuel président Guy Soutif. Son objectif était d'aider les autres artistes de cette région majoritairement rurale à sortir d'un isolement qu'il connaissait bien lui-même, de leur permettre de se rencontrer et ainsi de se sentir ainsi moins "extravagants" !
En juillet 2013, le CAO qui regroupe aujourd’hui 699 artistes amateurs de la région, a fêté ses trente années d’existence et souhaité rendre hommage à son fondateur en organisant son festival annuel en association avec le Mouvement pour la sauvegarde et la mémoire de l’église de Saint-Julien-de-Églantiers à la fois à Saint-Julien et à la Sauvagère.
Invités à l’inauguration de l’exposition quelques membres de la Confrérie ont ainsi pu découvrir au pied du mont des Avaloirs, caché dans un vallon au creux des collines du Haut-Maine et Pail un lieu étonnant.
Comment le décrire ? Pierre Honoré l’appelait son « chantier perpétuel » et se définissait lui-même comme « un bricoleur ». Mais quel bricoleur !
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Dès sa jeunesse Pierre Honoré montre des prédispositions artistiques, et ceci dans un milieu agricole rude, presque fruste où seul compte le travail de la ferme. Mal compris par son père Auguste, le jeune Pierre Honoré quitte Gesvres pour Saint-Léonard-des-Bois où il vit en vendant des peintures et des bagues qu’il fabrique lui-même avec tout ce qu’il trouve. Après son mariage en 1950 il revient à la Sauvagère où il achète sa maison et commence sa double activité d’agriculteur et d’artiste. Il restaure et agrandit cette maison composée à l’origine d’une seule pièce comme la plupart des fermes de la région à l’époque. Il lui adjoint deux autres bâtiments dont un grand bâtiment moitié atelier–moitié musée ou hall d’exposition. Mais surtout il ornemente de sculptures tous les murs, murets ou colonnes qu’il construit : visages, bustes de femmes, masques rêveurs ou grimaçants, bas reliefs…
On pense à l’Asie, à la Perse, au Cambodge, à l’Égypte, aux déesses-mères préhistoriques, aux indiens d’Amérique, aux danseuses de Matisse… Mais à quoi bon chercher d’où « le Grand Pierre du haut de Gesvres » comme on l’appelait tire son inspiration. Il a quitté l’école à treize ans, il n’a pas voyagé plus loin que Paris dont il aime les musées, il n’a pas eu de « formation artistique », il n’appartient à aucune école. Il lit, des récits d’expédition et surtout l’almanach Vermot et s’inspire de tout ce qu’il voit pour créer son univers exotique personnel, le plus souvent en pierre (souvent après une ébauche en plâtre), parfois en bois, en corne, en mosaïque, sur ardoise…
Petit clin d'oeil l'arrière de la maison : les têtes sculptées du général De Gaulle et du maréchal Leclerc :
Au dessus de la porte d’entrée de sa maison il scelle le portrait de son épouse Simone (décédée en 2011) qui l’a soutenu tout au long de sa vie sachant tenir tête aux critiques qui ne manquaient pas contre ce drôle de « paysan orientaliste » y compris dans leurs familles respectives, s’occupant de la ferme et de leurs trois enfants à qui elle apprend le chant dès leur plus jeune âge en chantant elle-même quotidiennement.
Mais l’œuvre de Pierre Honoré ne se limite pas aux murs, le jardin est aussi son terrain d’expression. Il défriche, pioche, creuse, construit des murets, canalise la source pour créer des fontaines, des ruisseaux et deux bassins…
Il crée ainsi derrière la maison un jardin oriental d’un hectare où il plante un à un des arbustes devenus aujourd’hui des arbres gigantesques : des saules, des sapins, des lauriers-palmes, des bambous, des palmiers… Cet écrin végétal servira de cadre à ses œuvres : sculptures, pagodes, petits temples, femmes aux seins volumineux comme cette Vénus de la fontaine (en photo ci-dessous) qu’il a sculptée dans une roue de gadage (pressoir à pommes).
Et il appelle cet univers, qu’il met un demi-siècle à créer, « Lilium Sauvagère » pour rendre hommage aux lys dont il aimait tant l’odeur.
En 1962 il reçoit un premier prix départemental d’embellissement à la ferme. Son père, Auguste Honoré, agriculteur acharné au travail et rigoureux, qui s’irritait jusqu’à présent de voir son fils perdre son temps avec ses sculptures au lieu de s’occuper de ses champs et de ses vaches, change alors d’optique et lui-même amène des visiteurs à la Sauvagère pour leur montrer fièrement ce qu’a fait son fils. Le prix s’accompagne d’un voyage d’une semaine en Suisse, mais hélas pour une seule personne. C’est son épouse qui part. Leur fille aînée Éliane raconte qu’à son retour Simone trouve Pierre bien amaigri. Totalement absorbé par son œuvre et le creusement d’un des bassins il ne s’était que sommairement nourri de sardines en boîtes ! Tel était Pierre Honoré, continuant à travailler même à la nuit tant qu’il lui restait du ciment à utiliser !
Il écrit aussi des petites pièces, des petits spectacles musicaux orientalisants chantés et dansés dont il fabrique les costumes avec son épouse, permettant à ses enfants et petits enfants de se produire en toute simplicité lors des festivals de Club Artistique de l’Ouest.
Pierre Honoré avait encore beaucoup de projets pour son parc oriental, en particulier une grande pagode qu’il n’a pu terminer. Ces projets il n’a pu les mener à bien un accident et la maladie ne lui ayant plus permis de continuer à construire et sculpter pendant les quatorze dernières années de sa vie. Mais, si lui-même a souffert de ne pouvoir achever son œuvre, Lilium Sauvagère ne donne absolument pas au visiteur le sentiment d’une œuvre inachevée mais bien plutôt celui d’une œuvre vivante, comme si d’autres statues allaient sortir d’elles-mêmes des pierres…
En novembre 2007, sous l’impulsion de Daniel Lenoir son actuel vice-président, le Conseil Général de la Mayenne et la Communauté de Communes de Villaines-la-Juhel ont fait publier par les éditions Siloë de Laval un livre dont le titre est « Pierre Honoré, artiste-paysan ». Rédigé par Jacques Dubois il est illustré de photos en noir et blanc de Bertrand Bouflet. Après une rencontre avec l’artiste Jean Arthuis, sénateur de la Mayenne en a rédigé la présentation (en quatrième de couverture).
Voici ce que Daniel Lenoir, qui était le plus proche voisin de Pierre Honoré, dit de lui : « Pierre était un personnage tout à fait attachant. Nous avons toujours considéré que nous avions une grande chance de les avoir comme voisins. J’associe son épouse qui est décédée en 2011 (lui est décédé en 2009). Je suis aussi très heureux d’avoir pu faire éditer un livre sur Pierre, de son vivant. Je crois qu’il y a vu une forme de consécration et une reconnaissance qui, malgré sa modestie, le comblaient à la fin de sa vie. En tout cas, si l’art singulier a un sens, il se trouve ici à Gesvres tant Pierre a travaillé en dehors de toutes influences et de toute école. Sa seule inspiration venait de sa vie et des lectures de l’almanach Vermot, eh oui !!! »
Que va devenir l’œuvre de Pierre Honoré maintenant que lui-même et son épouse sont décédés ? La question se pose.
De son vivant Pierre Honoré avait accepté d’organiser des portes ouvertes à la Sauvagère mais le lieu n’a jamais été fréquenté par de grandes foules. Pierre Honoré était trop discret et son œuvre, insérée dans la nature, a un caractère intimiste très émouvant mais moins « touristique » que ne l’est par exemple le musée Robert Tatin de Cossé-le-Vivien et ses sculptures monumentales.
Le 21 juillet 2013 l’organisation du festival des arts du Club Artistique de l’Ouest en collaboration avec le Mouvement pour la sauvegarde et la mémoire de l’église de Saint-Julien-de-Églantiers a permis une réouverture au public de la Sauvagère. Une navette hippomobile et un minibus assuraient la liaison entre l’église de Saint-Julien et la Sauvagère, distantes de deux kilomètres.
Pour l’occasion le jardin avait été défriché et remis en état car la nature n’est pas longue à reprendre ses droits ! Cela a permis à de nombreux visiteurs d’admirer, outre les œuvres des artistes exposants, les sculptures et constructions de Pierre Honoré. Pour beaucoup ce fut une découverte ! Mais conserver, entretenir et préserver un tel lieu coûte cher et cette charge est trop lourde pour les héritiers de Pierre Honoré. Or ses sculptures sont indissociables du jardin oriental où il les a disposées. Ce lien très fort entre les pierres qu’il a sculptées et la nature qu’il a aménagée est une des caractéristiques de son art et en fait la singularité.
Que va devenir Lilium Sauvagère ? Pourra-t-elle redevenir un lieu artistique vivant ? Pourra-t-on encore admirer l’œuvre de « l’artiste-paysan » mayennais ? La question reste ouverte. Espérons que le futur propriétaire saura prendre soin de Lilium Sauvagère et en permettra encore la visite…
En août 2014 nous avons rencontré Éliane Honoré, fille de Pierre Honoré qui nous a appris que la maison et les jardins de La Sauvagère avaient finalement été vendus comme la famille le souhaitait. Les acquéreurs ont été séduits par cette propriété dont ils souhaitent sauvegarder l’originalité, en particulier en entretenant le jardin. Nous nous réjouissons que l’œuvre de Pierre Honoré soit ainsi sauvegardée et espérons que les nouveaux propriétaires envisagerons une ouverture ponctuelle à la visite (peut-être lors des journées du patrimoine ou de la fête des jardins…).
Six ans après cette visite Lilium Sauvagère a été racheté et les bâtiment transformés en gites. Le jardin est à nouveau entretenu et lors des Journées du Patrimoine des 18 et 19 septembre 2021 il a été possible d'aller visiter le domaine de Pierre Honoré. Une découverte pour beaucoup de visiteurs émerveillés par ce patrimoine local méconnu.
Vous retrouverez les photos qui illustrent cette page ainsi que d'autres photos de la Sauvagère et de cette manifestation dans le diaporama suivant que vous pouvez laisser défiler automatiquement ou bien faire avancer manuellement en cliquant sur les flèches à droite et à gauche des photos.
Photos de la journée du 21 juillet 2013 à La Sauvagère et de l'oeuvre et des jardins de l'artiste Pierre Honoré.
L'ouvrage de Jacques Dubois et Bernard Bouflet sur Pierre Honoré cité précedemment comporte de nombreuses photos mais il est devenu difficile de se le procurer.