À l’entrée de Saint-Pierre-des-Nids en venant d’Alençon se trouve un très bel étang de pêche portant le nom de l’Étang du Tour. Sa profondeur varie entre 1,10 m et 2,3 m.
Cet étang n’a pas toujours été là ! D’ailleurs, les anciens de Saint-Pierre racontent que dans les années soixante, il n’y avait pas de véritable étang.
Tel qu’il est aujourd’hui, le plan d’eau de l’Étang du Tour a été crée en 1977. Le maire de l’époque était l’instituteur monsieur Albert Pinçon, qui venait de succéder à monsieur Louis Thoreton.
Le bulletin municipal de décembre 1977 (c’était la deuxième fois que la municipalité réalisait un bulletin municipal et le 1er datait déjà de près de trois ans) explique :
« Le projet de création d’un plan d’eau était envisagé depuis de nombreuses années. Ce projet a pu se concrétiser à la suite des opérations de remembrement, qui ont permis la réservation d’un terrain de près de deux hectares en bordure de la route d’Alençon, au lieu-dit « L’Étang du Tour », de part et d’autre du ruisseau « le Terrançon », mais également grâce à la participation financière du parc naturel Régional de « Normandie-Maine » qui a attribué à la commune une subvention de 58 000 F.
Ce plan d’eau est destiné à la pêche, l’empoissonnement en sera confié à la Société de pêche et de pisciculture de Saint-Pierre, ainsi des concours de pêche pourront y être organisés. Les abords du plan d’eau seront aménagés : aménagement paysager tout d’abord, mais aussi la création d’aires de piquenique et de jeux pour les enfants. »
Le remembrement dont parle le bulletin municipal date de 1974. Pour créer l'étang, il a fallut creuser, détourner le Terrançon et le canaliser pour lui faire longer le nouvel étang, installer le déversoir, un pont, une dalle... La mise en eau débute le 10 mai 1977. Les premiers poissons sont déversés fin novembre-début décembre et le 10 décembre, les pêcheurs participent avec des volontaires, amis de la nature, à la plantation des arbres et arbustes destinés à agrémenter les abords du plan d'eau. Un autre déversement de poisson est prévu au printemps 1978, avant l'ouverture de la pêche.
Si le plan d’eau n’existait pas avant 1977, le lieu portait toutefois déjà le curieux nom d’ « Étang du Tour » ! Bizarre !!!
Quand on regarde la carte du cadastre « napoléonien » en 1838 (on l’appelle « napoléonien » car sa réalisation a commencé sous Napoléon), on distingue tout juste une petite retenue d’eau au niveau du pont sur le Terrançon (dont le nom s’écrit à l’époque Terrençon). On constate également que le nom du ruisseau qui se jette dans le Terrançon n’est pas comme aujourd’hui « ruisseau d’Ormaine » mais « ruisseau du moulin de Guillaume ». On reconnait bien, le long de la route d’Alençon, le calvaire édifié entre 1785 et 1789. On l’appelle aujourd’hui « le calvaire de l’Étang du Tour » mais que l'on l’appelait alors « le calvaire de Terrençon ».
Au sujet de ce calvaire vous pouvez vous reporter à notre article sur le sujet en cliquant sur : Le calvaire de l'Étang du tour
Vous pouvez très facilement avoir accès au cadastre napoléonien sur le site des archives de la Mayenne en cliquant sur le lien suivant : Archives de la Mayenne-Cadastre
Sur le tableau d’assemblage de la partie Le Plessis du cadastre, on voit une zone, qui porte le nom de l’Étang du Tour. Attention, repérez-vous avec le dessin du calvaire (indiqué par une flèche rouge) et le tracé du Terrançon car l’orientation n’est pas la même que sur la carte précédente.
En 1899, l’instituteur J. Dreux rédige une monographie sur La Poôté (à l’occasion de l’exposition universelle de 1900, il avait été demandé à tous les instituteurs de rédiger des monographies sur leur village).
Ces différentes monographies rédigées en 1899 sont disponibles également sur le site des archives en cliquant sur le lien suivant : Archives de la Mayenne-Monographies
Il y adjoint un plan du village où l’on constate également l’absence de l’étang actuel. Seul le calvaire est indiqué.
Voilà ce qu’il écrit :
« Près du bourg, au lieu-dit l’Étang du Tour, se trouve une carrière qui occupe continuellement un certain nombre d’ouvriers. Toutes les nouvelles maisons du bourg ont été bâties avec des pierres retirées de cette carrière. On s’en sert encore pour faire des pierres tombales assez élégantes et qui sont fort nombreuses dans le cimetière communal. »
Les restes de ces carrières sont encore visibles à l’arrière de l’actuel Étang du Tour.
Une carte postale (peut-être postérieure à 1910 vu son aspect granuleux caractéristique, mais le cachet n’est pas lisible) montre un lieu-dit « l’Étang du Tour » sur la route d’Alençon et celle de Champfrémont. Un lieu-dit, mais pas d'étang ! La photo est prise à l'emplacement du rond-point actuel.
Précisons que la route d'Alençon n'était pas autrefois celle que nous connaissons aujourd'hui. "La vieille route d'Alençon" montait par l'actuelle route de Champfrémont, passait par Les Boulières et arrivait au lieu-dit Le Champ Coupé (où se trouve actuellement la déchèterie).
Une autre carte postale ancienne, elle non plus non datée (ou plutôt si, datée du 16 mars sans précision, et rien dans le texte ne permet de deviner l’année) montre le ruisseau Terrançon (avec un accès sans doute pour les bêtes) et à gauche, des maisons qui existent encore actuellement et qui sont bien reconnaissables. Sur la droite on aperçoit le pont du Terrançon, l'ancienne route d'Alençon et une maison qui n'existe plus aujourd'hui. Le titre donné à la carte postale confirme le nom de ce lieu-dit : « L'Étang du Tour » (alors que là non plus il y a pas d'étang !).
Les personnes qui ont vécu à Saint-Pierre-des-Nids dans les années cinquante et soixante confirment qu'il n'y avait alors pas d'étang (malgré le nom du lieu-dit) et que le Terrançon passait alors là où se trouve l'étang aujourd'hui. Voilà une autre photo (merci à Gérard Bertaux qui nous l'a prêtée), sans doute plus récente que la précédente et avec le même angle de vue, sauf qu'on voit mieux le pont du Terrançon sur lequel passe la route d'Alençon.
Un lavoir se trouvait sur le Terrançon un peu après le pont. Il n'a pas été démoli lors du creusement de l'étang, mais sous la municipalité de monsieur Jean-Luc Gombert (entre 1995 et 2001). Il a été reconstruit à l'identique en 2004, grâce à des plans qui avaient été conservés, et au même emplacement, par l'entreprise Thuault de Pré-en-Pail, sous la municipalité suivante, monsieur Henri Leblond étant maire.
Tournons-nous maintenant vers l’abbé David et sa « Poôté dans l’histoire » publiée entre 1926 et 1939. Il y cite M. Fortin, natif de La Poôté, qui écrit sa « Notice sur la paroisse de La Poôté » à la fin du 19e siècle. Il y raconte, en parlant des droits de justice exercés par le seigneur de La Poôté au 17e et 18e siècle :
« Après une nuit de réflexion passée dans la prison (qui était alors à gauche sous les Halles), le coupable était saisi par six sergents de la Châtellenie et trainé au lieu des exécutions capitales.
C’était sur le chemin d’Alençon, près de la chaussée d’un étang aujourd’hui desséché, qui s’appelle encore l’Étang du Tour (probablement en souvenir du… Tour, ou machine à pivot qui formait le pilori où on attachait préalablement le condamné pour l’exposer à tous les regards du public). Puis, lorsque, sous les bordées d’invectives et d’injures que les assistants ne lui ménageaient pas, le misérable avait demandé pardon et crié merci à Dieu, on le conduisait garroté sur une colline à gauche où se dressait le gibet patibulaire (c'est-à-dire la potence) en permanence, potence de la châtellenie, avec ses trois piliers obligatoires, en trépied. Là, les aides de la justice suspendaient le criminel « haut et court » et son cadavre pourrissait au gibet, s’il n’était auparavant dévoré par les oiseaux de proie. Ce lieu, désigné de nos jours par une carrière de pierres de granit, a conservé néanmoins le nom significatif de « la vallée du gibet ».
La vallée du Gibet ! L'Étang du Tour !
L'endroit est pourtant si paisible aujourd'hui !
Notre enquête est terminée ! Merci à tous ceux qui nous ont aidés à la mener !
Nous savons maintenant que ce lieu doit son nom d'« Étang du Tour » à un étang très tôt asséché ayant sans doute existé dans un lointain passé et au pilori qui s'y trouvait, qu’à proximité se trouvait un gibet et des carrières de granit, qu’en 1838, à la fin du 19e siècle et jusque dans les années soixante-dix, il n’y a avait plus là que la vallée du ruisseau Terrançon dans lequel le ruisseau d'Ormaine se jetait (en dessous de la route de Champfrémont), et que le plan d’eau tel qu’on le connait aujourd’hui a été aménagé en 1977.