Le mardi 14 aout 2018 cinq Fins Goustiers en tenue et un conjoint, également amie de la Confrérie, se sont rendus dans le petit bourg de Mellé, au nord de Fougères, en Ille-et-Vilaine pour visiter une exposition ayant pour thème "L'objet pour mémoire" qui regroupait une partie de la collection d'objets du monde rural du début du XXe siècle de monsieur Maurice Langlois.
La commune de Mellé, qui compte quelques sept-cent habitants, a été labellisée « Commune du patrimoine rural de Bretagne » en 1996. Mellé est doté d'un riche patrimoine architectural remontant parfois au XVIe siècle avec un grand nombre de constructions bâties en granit (le matériau le plus important de la région) grâce au savoir-faire ancestral des « picaous » (ainsi appelle-t-on les tailleurs de pierre en parler-gallo d'Ille-et-Vilaine).
Mellé met en valeur le patrimoine architectural du bourg en en réhabilitant des éléments depuis le début des années quatre-vingt-dix et à travers quatorze panneaux d'interprétation.
Certaines parties de l'église Saint-Martin remontent au XVe siècle.
Les Melléens cherchent à mettre leur bourg en valeur. Une exposition de quarante-six photographies couleur (appelée « Hortus Photographicus ») est ainsi présentées en grand format dans le bourg sur le thème de la relation entre le jardinier et son jardin. Ce sont des portraits de jardiniers et de leur jardin accompagnés de citations issues des rencontres entre le photographe (Bernard Molins) et ses modèles entre 2006 et 2007.
Le midi nous avons piqueniqué auprès de l'étang de Boulay qui se trouve dans une zone humide préservée, sur un circuit de randonnée permettant de faire le tour de la commune : le circuit « Pierres et nature ». Deux autres circuits existent : le « Circuit des énergies » et le « Circuit du bourg ». Tous trois sont entretenus par des bénévoles de la commune de Mellé qui a engagé depuis une trentaine d'années une démarche en développement durable (gestion des espaces verts, restauration du patrimoine bâti, reconquête paysagère, actions d'animation auprès des scolaires...).
N'hésitez pas à aller voir le site de la commune en cliquant sur le lien suivant : Mellé, village durable
L'exposition se trouvait à l'Espace Melléco, à l'enclos paroissial, dans les jardins du presbytère. Cet espace très bien aménagé, accueillant et en entrée libre, propose une scénographie avec panneaux, témoignages sonores, bornes pédagogiques permettant de découvrir la démarche de la commune de Mellé en matière de développement durable, et des expositions.
Nous avons eu le plaisir d'y retrouver Maurice Langlois.
Issu d’un milieu rural, né au Châtellier (dans le pays de Fougères), professeur d’horticulture dans un collège de Fougères après des études à Saint-Brieux, Maurice Langlois vit à Beaucé. Passionné de culture gallèse, engagé dans la protection de la nature et la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, conteur, essayiste, il a écrit de nombreux articles et ouvrages (souvent illustrés de magnifiques photos) sur sa région, les anciens métiers, la vie rurale dans les années cinquante, le parler-gallo du pays de Fougères... Trois d'entre eux : « Carnet de champs », « Gens paysans » et « Les gestes de la terre », sont en vente à l'espace Melléco ainsi qu'un CD de textes en gallo « Galésie gaiement ».
Depuis plus de trente ans, Maurice a récupéré des objets utilisés par les Bretons du début du XXe siècle dans la vie rurale et la vie quotidienne, en furetant sur les vide-greniers, les salles de vente et auprès de particuliers. Il possède une belle collection de plus de mille objets dont certains ont déjà été exposés aux archives municipales de Fougères fin 2017-début 2018, puis aux Ateliers, toujours à Fougères.
Pour lui ces objets constituent une richesse. « C’est un patrimoine de petite dimension, mais ce n’est pas un petit patrimoine », dit-il souvent. À l’époque les gens vivaient en autarcie, fabriquaient beaucoup de choses eux-mêmes et se montraient particulièrement ingénieux. Les outils qu’ils utilisaient en témoignent.
Maurice nous montre le costume traditionnel : veston de molesquine, ceinture de flanelle et pantalon à rayures.
Ci-dessous : à droite une chaufferette qui servait en particulier aux couturières et raccommodeuses qui venaient dans les fermes réparer le linge « savetë » (âbimé en parler-gallo du pays de Fougères). On y mettait des braises, et les morceaux de bois sur le dessus protégeaient les pieds de la trop grande chaleur.
À gauche un moulin à café de bistrot : le réceptacle des grains moulus est trois fois plus grand que dans le classique moulin à café à main.
Ci-dessous, Maurice nous présente deux autres objets : à droite, le « panier noir » des femmes (en parler-gallo : « pëgnë na »). En général, nous explique-t-il, la femme disposait des recettes de la vente du beurre, de la volaille et des œufs pour acheter essentiellement le sucre et la farine, tandis que l'homme utilisait les recettes des récoltes pour payer tout le reste.
Le deuxième objet à gauche est un grilloir à céréales qui servait, pendant la guerre, à torréfier l'orge qui remplaçait le café. Les braises étaient mises dans le réservoir du dessous.
Chacun des objets rassemblés par Maurice est répertorié, étiqueté et possède une fiche descriptive précisant son utilisation. De plus ils ont tous été photographiés et mis en ligne par la Granjagoul, association du Pays de Fougères dont Maurice est membre. Cette association cherche à sauvegarder et valoriser le patrimoine culturel immatériel (PCI) de la Haute-Bretagne et à favoriser sa transmission, sa diffusion, sa connaissance et la circulation des savoirs et savoir-faire. Elle gère à Fougères une « Maison du patrimoine oral en Haute-Bretagne ». Elle a mis en ligne les objets anciens de la collection de Maurice dans la base internet du Réseau des Archives Documentaires de l’oralité (RADdO), réseau national de bases de données sur le patrimoine culturel immatériel dont l’accès est ouvert à tous.
On peut accéder au site du RADdO en cliquant sur le lien suivant : RADdO
Et à l’inventaire de Maurice Langlois en cliquant sur : Inventaire objets
Certains objets présentés nous sont connus comme la lessiveuse ou encore le « carrosse », appelé « casseau » dans le Nord-est de la Mayenne, qui servait aux femmes à s’agenouiller pour laver le linge au « doué » (lavoir en parler-gallo breton comme mayennais). Autrefois le savon était remplacé par de la cendre et des plantes à pouvoir saponifiant (comme les saponaires).
Le « chassoir » (« chassouë » en gallo) servait aux tonneliers pour mettre en place le dernier cercle des tonneaux. Les cercles, réalisés par les « cercliers », étaient alors en bois. Les copeaux laissés par leur fabrication servaient à couvrir les huttes de ces derniers (qui travaillaient directement en bordure de forêt ou dans des clairières) ou étaient vendus aux boulangers pour servir à allumer leur four.
La faux ancienne ci-dessous s'accompagne d'une fourche permettant de ramener le les épis lors de la moisson. Elle donne à Maurice l'occasion de nous citer une blague : « Mieux vaut une vraie faux ancienne qu'une fausse faux récente (phosphorescente) » !
L'outil suivant nous amuse beaucoup : il s'agit d'un « moine » qui servait à chauffer le lit. On mettait les braises dans le récipient métallique positionné ensuite à l'intérieur du « moine » que l'on glissait sous les draps. La chaleur se diffusait ainsi dans l'ensemble du lit. Occasion pour nous de rire de notre confrère dont le nom de famille est... Lemoine !
Autrefois l'argent était rare. Lorsque le fermier portait son grain à moudre, le meunier se payait de son travail en farine et lorsque le meunier portait la farine au boulanger pour avoir du pain, celui-ci se payait également en nature. Lors de l'achat de pain, le boulanger avait une « coche à pain » faite d'une double baguette (l'une pour le boulanger, l'autre pour le client) sur lesquelles on cochait la quantité achetée (payée en général à la fin du mois).
L'école d'autrefois offre aussi son lot d'objets anciens :
Certains objets ont des noms très évocateurs tels un « purgeur à chevaux », ayant la forme d'un mors mais comportant un trou grâce auquel on pouvait sans difficultés donner sa purge au cheval.
D'autres ont des noms au contraire très mystérieux comme « les pétunes » (petites gourdes en bout de corne de bovin bouchée servant à mettre le tabac à priser).
Parmi les objets de la vie quotidienne Maurice nous montre un petit fer à repasser à bout rond qui servait à repasser les coiffes des femmes appelés les « catioles ». Voilà qui rendrait bien service à nos Fines Goustières car repasser l’intérieur d'une coiffe avec un fer moderne sans faire de faux plis est une gageure !!!
La pince à sucre est également un outil amusant. Elle servait à détailler en morceaux les pains de sucre. Cela prenait un certain temps et les clients attendaient en faisant la queue. Bien sûr ils discutaient entre eux et parlaient (pas toujours en bien) des uns et des autres... Voilà l'origine de l'expression « casser du sucre sur le dos de sa voisine » !
On ne soufflait pas les bougies, on les « mouchait ».
Un des objets préférés de Maurice est un étui de toile pour soldat datant de la Grande Guerre (14-18). Les poilus devaient en effet repriser eux-mêmes leurs vêtements, et réparer ou bricoler le matériel qu’ils utilisaient. Cet étui contient un rasoir coupe-chou et un petit nécessaire à couture logé dans un étui de buis ressemblant à une cuillère en bois à miel lorsqu’il est refermé. Il renferme tout ce qu’il faut pour recoudre les habits ou une capote. Maurice, qui en a récupéré deux dans des vide-grenier, trouve cet objet particulièrement émouvant car c’est un témoignage de la dure vie des poilus dans les tranchées.
En Ille-et-Vilaine, la galette de sarrasin ou blé noir (en gallo : « le bië na » ou « carao ») joue un rôle important dans l'alimentation et beaucoup d'objets traditionnels tournent autour de sa fabrication.
Autour de Maurice sur la photo ci-dessous : à gauche une meule à blé noir en bois, devant lui, le récipient en cuivre -laiton où on mélangeait la farine, l'eau et le sel (les seuls ingrédients de la galette de blé noir en Ille-et-Vilaine !), une cuillère en bois ainsi que deux « rouabl » (raclettes servant à tourner la pâte à galette). Sur la droite, devant le moulin, on aperçoit une claie qui servait à poser les galettes au fur et à mesure de leur fabrication.
La photo suivante montre la tuile sur laquelle on cuisait les galettes à la cheminée. On l'appelle « kieule » en gallo (et chez nous on parle de « galettoire »). Sur la « kieule », deux palettes à galette, dont une très ouvragée.
Le lendemain, quand les galettes étaient froides, on les réchauffait à la cheminée en utilisant un « chauffe-galette » en métal que l'on approchait des braises. Il est visible sur la photo suivante.
À gauche du chauffe-galette, vous pouvez voir une petite « casse » qui servait à cuire les poulets devant la cheminée. La volaille était embrochée, la casse positionnée devant le feu dont elle renvoyait la chaleur sur la viande. Le couvercle ouvrant permettait d'arroser le poulet en cours de cuisson avec le jus et on pouvait tourner la broche.
Le « garde-feu » servait à conserver toute la nuit une bougie de suif allumée de manière à pouvoir rallumer rapidement le feu le lendemain matin (le suif, s'il fait beaucoup de fumée, fond beaucoup moins vite que la cire).
La « main froide » servait à décrocher l'anse de la marmite suspendue au-dessus du foyer sans se bruler.
Dans ce pays de granit et de « picaous » (tailleurs de pierres en gallo), on ne peut passer à côté de la « boucharde », gros marteau très lourd, à têtes interchangeables, composées d'un damier de pointes pyramidales dites en « pointe-de-diamant ».
Les ruches étaient fabriquées en paille de seconde qualité poussant en lisière des forêts, ligaturée avec des écorces de ronce. On fabriquait de la même manière des paniers pour faire lever le pain que l'on appelait « ruchot » à cause de cette similitude. Il existe plusieurs sortes de ronces, celle qui donne des mûres et celle que les vanniers utilisent. Par chez nous on fabriquait des paniers en ronce.
Lorsqu'une vache avait avalé des pommes jusqu'à s'étouffer, on disait alors qu'elle « s'était empommée ». Il fallait alors la « dépommer ». On utilisait un « ouvre-gueule » (que Maurice présente sur la photo ci-dessous) puis on poussait dans son œsophage un long tuyau appelé « dépommoir à vache ».
Sur la photo ci-dessous, deux « coffins » fabriqués dans des cornes de bovin qui servaient à garder les pierres à aiguiser les faux dans de l'eau (vinaigrée pour qu'elle ne pourrisse pas). En gallo d'Ille-et-Vilaine on les appelle aussi les coffins des « couyë ».
À droite des deux coffins, une « clé de puits » servant à bloquer le seau pour qu'il ne tombe pas dans le puits.
Ci-dessous, une « houlette de Suisse ». Le « suisse » est un autre nom pour le « bedeau », laïc chargé de maintenir le bon ordre dans une église et de faire la quête. L'équivalent du Grand Chambellan dans notre Confrérie ! Nul doute que Michel aimerait avoir une telle houlette !!! Celle-ci comporte une fente au bout pour pouvoir quêter jusqu'au bout des rangs.
Une bêche à parelle (ou arrache-rumex). Les rumex (sorte d'oseille sauvage très envahissante) ont des racines tournantes difficiles à arracher. Chez nous on les appelle aussi « doches . Juste à côté un outil d'abattoir.
Nous avons vu encore bien d'autres objets mais il n'est pas possible de tous les présenter ici. N'hésitez pas à aller voir l'inventaire en ligne des objets que possède Maurice en cliquant sur le lien suivant : Inventaire objets
Il reste des objets dont Maurice ignore tout, mais dont il ne désespère pas de découvrir un jour le nom et l’usage.
Maurice aime les objets anciens et a à cœur de préserver la mémoire du passé, mais il n’est pas pour autant passéiste. En décembre 2017, il déclarait dans « La Chronique républicaine de Fougères : « La collecte mène à des découvertes exceptionnelles qui nous disent beaucoup sur la vie quotidienne de nos ancêtres. Je collectionne mais je ne suis pas nostalgique. Ces temps-là étaient rudes, exigeants. Les gens étaient à la peine. Mais c’est notre histoire. Nous venons de là, nous dont les enfants font partie de la génération bouton, une époque où il suffit d’appuyer sur un bouton pour avoir de la lumière, de l’eau, du chauffage… »
Pour terminer cette visite nous sommes allés voir, à l'étage de l'espace Melléco, un film appelé "Les chemins de Mellé", tourné en 2013 par Grégori Belleco avec les habitants de la commune et produit par Moving Stars.
Ce court métrage met en scène Gilles, un photographe, dont le père vient de décéder et qui revient sur les lieux de son enfance, à Mellé. Là, il commence à réaliser un reportage. Au fil de ses recherches, il rencontre des Melléens et redécouvre le village où il a passé son enfance. Il est en particulier hanté par l'image d'un arbre... En découvrant les beautés durables et cachées de Mellé, il se réconcilie avec son propre passé.
Ce film a remporté les Deauville Grenn Awards en 2014.
La presse en parle :
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