Situation du domaine de Linthe, à proximité de la Sarthe, la photo a été prise depuis la butte de Narbonne.
Le domaine de Linthe est situé à trois-cents mètres du bourg de Saint-Léonard-des-Bois, en direction de Sougé-le-Ganelon, sur la rive gauche de la Sarthe, et est dominé par les cent-quatre-vingt-cinq mètres de la butte de Narbonne, d’où on a une vue plongeante sur la Sarthe et le manoir. Il appartient à un propriétaire privé et ne se visite pas.
On a également une très belle vue sur cet ensemble architectural depuis la rive opposée de la Sarthe en prenant la direction de la croix des Écharmeaux et de la vallée de Misère.
La vallée de la Sarthe et la manoir de Linthe, carte postale ancienne datée du 3 aout 1938 (collection particulière de madame Catherine Lamour).
Carte postale ancienne postée de Pré-en-Pail (Prez-en-Pail sur le cachet) le 25 septembre 1916 (collection particulière de madame Colette Guillard).
Au Moyen Âge se dressait à cet endroit une maison fortifiée. Puis ce fut le siège d’une seigneurie dont on trouve trace dès le 11ème siècle : le Cartulaire de Saint-Vincent du Mans (1081-1102) cite Étienne et Robert de Linthe comme témoins d’une donation et un autre texte de 1277 mentionne « le fief de Linthe ».
Au fil des siècles de nouvelles constructions s'élevèrent dont certaines sont encore là aujourd'hui.
Au 14ème siècle, les seigneurs de Linthe construisent un premier manoir (1) qui se trouve du côté nord. Il a un étage et des fenêtres à encadrements de grès roussard (grès ferrugineux à gros grains, de couleur roussâtre assez sombre, propre à la géologie locale et très utilisé dans la région). À l’intérieur, la grande salle du rez-de-chaussée a une grande cheminée à manteau (on appelle « manteau » les deux montants et le linteau qui délimitent la cheminée et s’avancent dans la pièce). L’escalier est en bois et à vis.
Au 15ème siècle un deuxième manoir (2) a été bâti vers le sud, à la suite de ce premier bâtiment. Il est plus élevé et plus élégant. À cette époque le pays, ravagé par la guerre de cent ans (1350-1450), est en pleine période de reconstruction. Le logis seigneurial a un plan rectangulaire, il comporte un sous-sol, un rez-de-chaussée composé de deux pièces, un étage et un vaste grenier laissant voir une belle charpente en châtaignier. Il est surmonté d’une haute toiture d’ardoises, comme il est courant à cette époque et ses deux hauts pignons portent chacun une cheminée. Ses fenêtres sont à meneaux (traverses en pierre divisant les fenêtres) de granit d’Alençon, la cheminée du rez-de-chaussée est en granit, surmontée de panneaux de bois, et celle de l’étage entièrement en granit. La façade principale de cette gentilhommière est tournée vers l’ouest (du côté de la Sarthe) et s’ouvre sur une cour intérieure.
Le manoir était une véritable place forte, occupant une position stratégique car il dominait la rivière et la route (à l’époque plutôt un chemin) qui passait en contrebas le long de la Sarthe et qui était alors la principale voie de communication entre les places fortes de Saint-Céneri au nord et de Fresnay au sud. La période était troublée et la région se trouvait située entre le Maine et la Normandie dont les seigneurs étaient souvent en conflit, il était donc nécessaire de de se protéger d’éventuels assaillants.
Le manoir de Linthe était un bon point d’observation, et un refuge en cas d’attaque. Les bâtiments étaient en effet entourés d’un quadrilatère de murailles et de douves que l’on franchissait par un pont-levis et une porte cochère du côté sud. Au nord, vers le village, on passait par une petite planchette et une poterne à piéton (petite porte, intégrée aux murailles des fortifications, qui permettait aux habitants du château de sortir ou rentrer discrètement). Par les textes on sait que l’enceinte de la maison seigneuriale existait encore en 1638 avec ses douves, son portail et son pont-levis et qu’il y avait encore des douves en 1732, mais à
Ce plan du domaine de Linthe a été réalisé à partir d'une ancienne brochure sur Saint-Léonard-des-Bois.
1 Manoir du 14ème siècle
2 Manoir du 15ème siècle
3 Pont-levis et porte cochère
4 Poterne à piéton
5 Pavillon de défense
6 Boulangerie et four à pain
Les fortifications comprenaient un bâtiment consacré à la défense (5) qui servait également d’écurie et de cellier. Cet ancien donjon aux murs très épais, dont la construction est antérieure à celle du manoir, a la forme d’un carré de huit mètres de côté et est situé à proximité du pont-levis, à l’angle sud-ouest de l’enceinte. Ce pavillon de défense est couvert d’un toit à quatre fortes pentes et est percé de meurtrières sur deux niveaux.
Ici il est vu du sud-est.
À l’intérieur de l’enceinte, il y avait également une boulangerie avec un grand four (6) qui subsiste encore aujourd’hui. À l’extérieur se trouvaient des bâtiments d’exploitation (ce que l’on appelait au Moyen Âge la « bassecour ») et surtout une grosse fuie, bâtiment circulaire surmonté d’une toiture conique, servant à l’élevage des pigeons. Ses murs épais étaient percés à l'intérieur de neuf-cents boulins (trous où nichent et pondent les oiseaux et auxquels on accède par l’intérieur). Ce pigeonnier témoignait de la puissance du seigneur de Linthe car, selon les coutumes féodales, seul le seigneur d’un fief exploitant un domaine pouvait posséder des pigeons (cela s’appelait « le droit de colombier »). Jusqu’à la suppression de ce droit à la révolution, les paysans ne pouvaient posséder de pigeons et devaient subir les dégâts occasionnés par ceux de leur seigneur sur les récoltes.
La seigneurie de Linthe était puissante avec droit de basse, moyenne et haute justice (le domaine comportait un gibet, élevé sur un tertre vers le nord), droit de moulin, de four et de colombier, droit de pêche, de forge et de fonderie. Pour toutes ces activités les vassaux dépendaient du seigneur. Par exemple, ils devaient obligatoirement utiliser le moulin ou le four du seigneur et payer pour cela (on appelait ce droit une « banalité » et on parle donc souvent de « four banal » ou de « moulin banal »). De plus les paysans accomplissaient des corvées pour leur seigneur comme faucher, faner, transporter le foin et les récoltes de certaines terres seigneuriales, réparer le moulin, maintenir ses biefs en état, entretenir les haies... et ils lui versaient des redevances en argent ou en nature (en général des boisseaux d’avoine, des poulets...) en contrepartie de certaines terres. Par contre, ils pouvaient utiliser les bois et certaines pâtures de Linthe pour leurs bêtes, s’y approvisionner en bois mort, en bruyères et en genêts et abreuver leurs animaux à la rivière et dans les mares dépendant de la seigneurie.
On raconte qu’un souterrain partirait du pavillon de défense, passerait sous la Sarthe et se dirigerait vers le sud-ouest, pour permettre une fuite en cas de siège. Mais personne n’a jamais retrouvé ce souterrain... Une autre légende concerne une aile aujourd’hui disparue du manoir, hantée par le fantôme d’un prêtre. Elle est évoquée sur une autre de nos pages que vous pouvez atteindre en cliquant sur le lien suivant : Les légendes d’cheu nous.
Jusqu’en 1456, le manoir appartint à une première famille de seigneurs de Linthe qui lui ont donné son nom, puis à la famille du Hardas (ou du Hardaz) qui prirent eux aussi le titre de seigneurs de Linthe. En 1497, Jehan du Hardas, témoin lors d’un mariage, est mentionné comme seigneur de Linthe. Les du Hardas furent une illustre famille, au sujet de laquelle il reste de nombreux textes (testaments, successions, déclarations, mariages, donations... ). Ils possédaient également des terres en Champagne et acquirent au 17ème siècle la terre de Hauteville en Charchigné. C’est là que se trouve actuellement l’exploitation cidricole (ou plutôt sydricole, comme ils l’écrivent) de Céline et Éric Bordelet qui ont entrepris la restauration du château construit par Charles du Hardas à la fin du 18ème siècle.
Voir à ce sujet : La Confrérie à Hauteville chez Éric Bordelet.
Carte postale ancienne représentant le château de Hauteville près de Charchigné, construit à la fin du 18ème siècle par Pierre Pommeyrot pour Charles du Hardas, seigneur de Linthe. Un grave incendie le détruisit en grande partie en 1922.
Dans le bourg de Saint-Léonard, un peu au-dessus de l’église, se trouve une maison appelée « les Grandes Maisons » qui attire l’œil par son bel encadrement de porte en grès roussard avec un linteau « en accolade » à côté d’une fenêtre dont l’encadrement est également en grès roussard à double accolade. Le meneau central de cette dernière a été supprimé. Quand au fenestron il a conservé la grille en fer forgé d’origine.
Cette maison appartenait à un des membres de la famille des Hardas de Linthe, Claude du Hardas, écuyer, sieur de la Rochelle que nous connaissons par son testament rédigé en 1669 dans lequel il demandait qu’on dise à perpétuité des messes pour le repos de son âme et celles des ses parents et amis et hypothéquait ses biens meubles et immeubles pour financer ces messes.
Claude du Hardas mourut sans héritier et « les Grandes Maisons » passèrent de propriétaire en propriétaire et furent grandement modifiées. En 1887 un incendie détruisit la plus grande partie de la façade, la charpente et la toiture.
À côté du manoir, sur la Sarthe qui forme des iles à cet endroit, se trouve le moulin de Linthe qui appartenait au manoir – avec son barrage, ses ilots, ses ponts et sa roue – et qui propose aujourd’hui des chambres d’hôtes (ouvert de Pâques à fin octobre, tél : 02.43.33.79.22 ou 06.78.70.91.26). Il fait face à la vallée de Misère et à la croix des Écharmeaux.
Un texte de 1646 mentionne ce moulin à blé et sa pêcherie comme appartenant à Claude du Hardas, seigneur de Hauteville et de Linthe. Dans ce document un vassal de Linthe reconnait devoir « y mener moudre tous mes grains récoltés sur toutes mes terres dépendant de votre seigneurie, pourvu que votre dit moulin soit en bon état » et énumère tous les droits et devoirs qui le lient à son seigneur.
Le moulin de Linthe à travers les arbres depuis la croix des Écharmeaux où le ruisseau du Vieil Étang se jette dans la Sarthe.
Ci-dessous un petit diaporama sur le moulin de Linthe. Les photos ont été prises par des personnes y ayant séjourné en 2014 et nous les ayant aimablement envoyées. Merci à elles.
Le moulin de Linthe (chambres d'hôtes, location vacances, gite de France).
D’après un texte de 1726, les seigneurs de Linthe possédaient également « une fenderie de fer, située sur le cours de la Sarthe, au-dessous du moulin de Linthe », c’est-à-dire une petite forge alimentée par le moulin.
Enfin une chapelle dépendait également du manoir : il s’agit de la chapelle de Linthe qui se trouve près du pont à l’entrée du bourg de Saint-Léonard-des-Bois, au carrefour de la D112 et de la D258. Elle date de 1573 et est dédiée à Notre-Dame de Pitié. Elle a été édifiée à la mort de Aminadab du Hardaz, seigneur de Linthe, qui en avait organisé en détail la construction et l’entretien dans son testament, ainsi que les messes qui devaient y être dites pour le repos de son âme. Elle est bâtie en grès roussard, couverte de tuiles et deux croix en pierre se trouvent à l’entrée. Le linteau de granit portait les armes de la famille du Hardaz mais il a été martelé en 1793, pendant la révolution.
Au tout début du 18ème siècle, Catherine du Hardas, décède sans descendance et laisse la seigneurie à sa famille maternelle, les des Portes. À partir de cette date le manoir de Linthe n’est plus habité par ses seigneurs et en 1732 , messire Charles-François des Portes, seigneur de Linthe vend pour 45 000 livres le domaine avec ses vassaux, son moulin et ses droits à messire Hubert de Courtavel marquis de Pezé. Par mariage le manoir passe ensuite en 1743 à la famille du Vassé et ce jusqu’en 1773. À cette date « la terre et la seigneurie de Linthe, composée d'un manoir seigneurial, douves, bassecour, jardins, un moulin tournant, avec ses vassaux, sujets audit moulin, rivière, droit de pêche, chapelle, et tous droits honorifiques, fermes et bois-taillis, etc. » sont achetées 46 000 livres par François Hatton de la Gainière dont - suivant les dernières informations dont nous dsposons - la famille a conservé la propriété du manoir jusqu’à aujourd’hui.
Depuis 1984 le manoir est inscrit au titre des Monuments historiques et il participe à la renommée des Alpes mancelles et de Saint-Léonard-des-Bois.
Bibliographie : Pierre Moulard, Recherches historiques sur Saint-Léonard-des-Bois et Saint-Paul-le-Gaultier (Canton de Fresnay-sur-Sarthe), éditions E. Lebrault, Le Mans, 1888
Vous pouvez voir d'autres photos du manoir, de la chapelle et du moulin de Linthe ainsi que de la maison de Claude du Hardas dans le diaporama suivant, que vous pouvez laisser défiler ou faire passer manuellement en cliquant sur les flèches à droite et à gauche des photos.
► Pour lire la légende du revenant du manoir de Linthe cliquez sur : Les légendes d’cheu nous
► Pour plus de détails sur Éric Bordelet et le château de Hauteville cliquez sur : La Confrérie à Hauteville
► Pour découvrir Saint-Léonard-des-Bois et la vallée de la Sarthe cliquez sur : Promenade le long de la Sarthe à Saint-Léonard-des-Bois.