Le terroir du Haut-Maine et Pail dont notre Confrérie défend les produits et les traditions se situe sur la bordure Est du massif Armoricain. Notre sous-sol est le même que celui de la Bretagne : granit, schistes, grès armoricains1… Charchigné, sur le territoire de Lassay-les-Château, se trouve à l’ouest de ce terroir. C’est là qu’Éric Bordelet élève amoureusement ses cidres et ses poirés depuis 1992. Quelques membres de notre Confrérie l’avaient rencontré à l’automne 2011 et avaient été séduits par l’homme autant que par son travail passionné. Le 21 juin 2014 nous sommes retournés au château de Hauteville. Éric étant retenu par une dégustation en Belgique c’est son épouse Céline qui nous a fait visiter les vergers et l’exploitation et déguster leur production.
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Un des vergers d'Éric Bordelet à Charchigné (château de Hauteville) en Mayenne.
Diplômé d’œnologie viticole, ancien sommelier dans un grand restaurant parisien, Éric Bordelet à repris en 1992 l’exploitation familiale de Hauteville. Il avait alors 29 ans et déjà l’objectif de remettre le cidre et le poiré sur les tables au même titre que le vin. Pour cela il lui fallait produire des cidres et des poirés d’exception avec une approche semblable à celle des vignerons qu’il côtoyait habituellement. Très tôt il estime possible de produire des cidres et des poirés de garde comme on le fait pour le vin. Pour se démarquer il décide d’appeler son produit sidre2, et sydre2 pour la gamme gastronomique et s’annonce d’emblée comme sydriculteur, pomologue et poirologue.
La propriété familiale, une exploitation agricole classique, comprenait déjà quelques vieux vergers. Le sous-sol y est essentiellement composé de schistes du Biovérien (roche sédimentaire assez tendre datant du précambrien), de cailloux schisteux (appelés en patois de l’argelette – ce qui donnera son nom à une des cuvées gastronomiques d’Éric) et d’une dorsale de granit. Ici nous sommes dans la région des collines du Nord du Maine où la pluviométrie est plus importante que dans le reste du Maine (Mayenne et Sarthe) ce qui donne un climat proche de climat normand. Cela fait parfois écrire que le climat y est normand et le sous-sol breton ! Cette combinaison a toujours donné de bons produits cidricoles.
Les vergers les plus anciens de l’exploitation, utilisés pour les cuvées gastronomiques, peuvent avoir jusqu’à 200 ou 300 ans. Les vieux vergers entre 40 et 100 ans. Quant aux plus récents ce sont des vergers palissés dont les arbres ont maintenant 25 ans. Chaque année Éric plante de nouveaux arbres, en greffe certains et remplace ceux d’entre eux qui ont moins bien pris. Une particularité qui nous avait bien étonnés lors de notre première visite est la greffe de vieux arbres dont le tronc peut déjà avoir une dizaine de centimètres de diamètre. Les vergers palissés sont arrosés au goutte-à-goutte uniquement en cas de stress.
Le ramassage des fruits a lieu de septembre à décembre selon les années. Une quinzaine de saisonniers viennent en renfort. Les fruits tombent naturellement et sont ramassés à terre uniquement lorsqu’ils sont à maturité, le tri se faisant lors du ramassage. Si un fruit tombé n’est pas mûr il est laissé au sol jusqu’à sa maturité. Pour certains poiriers de 200 ou 300 ans cela oblige à repasser trois fois. Une fois ramassées et triées les pommes sont mises par variété en cassettes plastiques (le bois leur donnerait un goût) où elles vont rester 15 à 30 jours. Ces caissettes sont visibles sur la photo ci-dessous. Les poires sont quant à elles travaillées immédiatement car elles sont plus fragiles.
Derrière Céline Bordelet et les Fins Goustiers les caissettes où les pommes sont entreposées en automne et hiver.
Les pommes sont ensuite vidées dans un entonnoir, grossièrement broyées puis placées dans une cuve de macération avant d’être pressées par un pressoir à bande utilisant une toile plastique. Le jus est entreposé dans des cuves en inox et le marc utilisé pour le compost, pour les animaux et bientôt il servira à l’usine de méthanisation qui est en construction à Charchigné (ouverture prévue pour 2014). Tout le matériel est en inox. Nous avons vu les premiers pressoirs à cage qu’Éric a utilisé au démarrage, mais même alors il avait remplacé les parties métalliques par de l’inox.
Nous sommes au printemps et en cette saison les cuves sont vides. C’est là que se fait l’assemblage des jus. Tous les cidres et poirés produits à Charchigné sont le résultat d’un assemblage : une vingtaine de variétés pour les cidres, une quinzaine pour les poirés. S’agissant des produits gastronomiques pour lesquels sont utilisées les variétés les plus anciennes la proportion est rigoureusement la même depuis les premières années. L’Argelette, cuvée gastronomique de sydre dont nous reparlerons, contient 40 % de pommes amères, 40 % de pommes douces et 20 % de fruits acidulés.
Le lavage des bouteilles, le remplissage, le bouchage, la pose des muselets… tout est automatisé. L’étiquetage se fait au fur et à mesure des commandes car la réglementation varie selon les destinations. Il faut dire que 70 % de la production d’Éric Bordelet part à l’exportation : États-Unis, Japon, Chine (en particulier Shanghai et Hong-Kong), Afrique du Sud, Angleterre, Allemagne, Suède, Norvège, Italie, Espagne, Brésil… Seuls les pays de l’Est se montrent peu intéressés par les produits cidricoles.
Dès le départ les Bordelet ont cherché des bouteilles particulières pour leurs cuvées gastronomiques et les ont fait fabriquer spécialement. De même ils font brûler les bouchons pour qu’ils apparaissent sombres à travers le muselet ce qui est plus joli (les bouchons de cidre ou de poirés ne sont pas « habillés » comme ceux de champagne donc on les voit).
Charchigné est en zone d’appellation Calvados. Les Bordelet vendent actuellement un Calvados « négociant » qu’ils ne produisent pas eux-mêmes et depuis 1997 Éric a commencé à produire chaque année son propre Calvados par une double distillation (ou double chauffe) qui permet de ne garder que le cœur de la chauffe. Lors de la seconde distillation on élimine les premiers condensats trop forts (les têtes) et les derniers qui manquent de finesse (les queues). Pour le moment ces Calvados vieillissent en fûts mais il est encore trop tôt pour les embouteiller. Il faudra attendre encore un petit peu pour les déguster…
Notre visite se termine par la salle de dégustation installée dans l’ancienne sellerie. Céline Bordelet nous présente d’abord les « sidres de soif » : tendre, brut-tendre et brut, tous trois résultat du même assemblage de 20 variétés mais embouteillés à trois stades différents de fermentation et titrant entre 3° et 7°. Elle nous présente aussi une nouveauté intéressante : un petit fût sous pression de 5 litres d’un « sidre de soif » demi-sec, comportant une quantité plus importantes de pommes amères et pouvant de ce fait accompagner la totalité d’un repas de manière festive. Une fois mis en perce ce petit fût peut se conserver un ou deux mois. Ils vendent également des fûts de 20 litres jetables pour les bars, les restaurateurs ou l’exportation.
Nous passons ensuite au sydre gastronomique : l’Argelette, qui tire son nom de la roche schisteuse que l’on trouve à Charchigné. Ce sydre, dont l’assemblage est toujours rigoureusement le même, est millésimé (sur le bouchon) et peut se garder et évoluer de manière très intéressante. Céline Bordelet nous le prouve en nous faisant déguster successivement une cuvée d’Argelette 2013 et une cuvée 2007 qui se révèle à la fois étonnante et délicieuse ! Le cidre de garde est une découverte pour nous. Certains restaurateurs, clients des Bordelet, commencent à conserver quelques bouteilles pour associer tel ou tel millésime avec tel ou tel met comme ils le font habituellement avec les vins. Ce sydre est particulièrement conseillé avec tous les plats à base de crème ou de beurre…
Dégustation de cidres et de poirés d'exception.
Après les cidres nous goûtons les poirés. Là encore les Bordelet distinguent les produits gastronomiques des produits « de soif ». Le poiré Authentique (poiré « de soif ») est délicieux en apéritif (c’est ainsi que nous l’avions goûté lors de notre sortie aux Escargots du Pâtis à Saint-Samson), mais également avec du comté, du fromage de chèvre ou des fruits de mer. La cuvée Granite (cuvée gastronomique) est réalisée avec les très vieux poiriers de l’exploitation ce qui lui confère plus de rondeur que la cuvée Authentique parce que les fruits des vieux arbres acquièrent un goût plus doux. Comptez 9,50 € pour une bouteille d’Authentique et 15 € pour une cuvée Granite.
Après nous avoir fait goûter la cuvée Granite 2013, Céline Bordelet nous fait déguster une cuvée… 2003. Là encore c’est une excellente surprise ! On peut vraiment parler de poiré de garde !!! Le goût est étonnant et délicieux !
Nous terminons par la dégustation d’un « poiré de glace », clin d’œil d’Éric aux québécois qui font du « cidre de glace » (à ce sujet reportez-vous à la fin de notre article sur « Le cidre à l’ancienne »).
À Charchigné la propriété des Bordelet se trouve sur les dépendances du château de Hauteville. Il a été construit à la fin du XVIIIème siècle pour Charles du Hardas par l’architecte Pierre Pommeyrol (également créateur du château de Craon et de plusieurs constructions de Laval en particulier le château de Bel Air). Le fronton triangulaire du château porte d’ailleurs les blasons et les chiffres de la famille du Hardas. Le 13 novembre 1922 un grave incendie détruisit le château qui appartenait alors à madame Mathilde Widor. Il n’en resta que des ruines. Dans les années soixante il devint la propriété de la famille Bordelet quand M. et Mme Roger Bordelet en firent l’acquisition.
Un des objectifs d’Éric Bordelet lorsqu’il reprit l’exploitation familiale en 1992 était la restauration du château dont ne subsistaient que les murs en ruine et les caves voutées restées quant à elles en bon état. Depuis notre première visite en 2011 les travaux ont bien progressé. Les Bordelet ont obtenu quelques aides de l’Europe et du Conseil général. L’intérieur du château a été entièrement déblayé et les ouvertures ont été étayées. Lorsque les travaux seront terminés toute l’exploitation, les chaix, le stockage et la salle de dégustation (qui occupent actuellement les dépendances) seront transférées dans le château. Nous reviendrons voir l’avancée des travaux dans quelques années !
Le château de Hauteville à Charchigné en 2010.
Le château de Hauteville à Charchigné en cours de restauration par les Bordelet en 2014.
Notes :
1 Pour plus de détails sur notre terroir et sa géologie reportez-vous à notre article : Notre terroir du Haut-Maine et Pail
2 Au sujet des appellations sidre et sydre :
- en 1610 le poète normand Jean le Houx (1551-1616) rassemble des chansons dans un ouvrage appelé « Le livre des chants nouveaux de Vaux de Vire » où il emploie l’orthographe syldre.
- Rabelais au 16ème siècle parle du citre.
- En 1631 dans sa monumentale « Histoire générale de la Normandie » Gabriel du Moulin, curé de Mennaval, écrit sidre.