► La recette est évoquée dans le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Favre (1849-1903), cuisinier d’origine suisse qui a consacré vingt ans de sa vie à la rédaction de son dictionnaire. Cet ouvrage comporte 6000 recettes et rassemble tout le savoir gastronomique connu au début du 20ème siècle.
À l’article « cidre » et après avoir décrit la méthode classique de fabrication du cidre par broyage des pommes et pressage du marc, il cite le « Cidre fermenté dans son marc » :
« Une autre méthode pour préparer le cidre consiste à broyer les pommes et à les mettre dans des tines ou des cuviers et à les submerger d’eau et à les laisser fermenter. On presse le tout, on le met en tonneau et on le soutire en avril.
Par ce procédé on obtient un cidre ou boisson uniforme de bonne qualité. »
► L’almanach de l’Orne pour 1886 (édité chez E. Renaut de Broise, imprimeur alençonnais) explique ce procédé plus en détail sous le titre : « De la fabrication du cidre par macération, infusion ou lixiviation. »
« Depuis quelques années, certains cultivateurs usent, pour faire le cidre, d’un procédé qui parait leur donner de bons résultats et qui a, sur tous les autres, le véritable avantage de supprimer le pressoir avec son attirail, son logement dispendieux, son exploitation pénible et ses incessantes réparations. […]
Pour fabriquer le cidre suivant la nouvelle méthode, on remplace le pressoir à tour et à cheval par un concasseur. Le concasseur a sur la meule l’avantage de ne pas réduire la pomme en bouillie et de ne pas écraser le pépin. On ne saurait nier l’abondance nuisible de la lie due à la « purée septembrale » ; quant à l’écrasement du pépin, l’analyse chimique démontre qu’il contient une huile essentielle qui rend le cidre plus astringent et lui communique une certaine âcreté. […]
Pour faire le cidre au moyen du nouveau procédé, il suffit d’un bon concasseur et d’un certain nombre de cuves.
Une fois les pommes concassées, on met le marc macéré dans des cuves préparées pour le recevoir ; la durée complète de la macération, du « mâquage » comme on eût dit autrefois en patois du pressourier normand doit être de quarante-huit heures environ.
On jette d’abord dans la cuve le marc non mouillé et on le laisse ainsi pendant dix heures environ.
La proportion d’eau que l’on veut mêler au jus de la pomme pour obtenir une boisson plus ou moins alcoolique étant déterminée d’avance, on la divise en trois portions égales.
On verse le premier tiers sur le marc qui a fermenté « à sec » pendant dix heures et on laisse macérer douze heures, on soutire, puis on verse le second tiers. On laisse à nouveau macérer douze heures et on verse le dernier tiers d’eau. On laisse encore mariner douze heures, on soutire à nouveau et tout le jus de la pomme se trouve extrait.
On peut joindre le cidre de premier soutirage à l’eau que l’on verse sur le marc pour opérer la seconde macération. En tout cas, il faut mêler les produits des trois opérations dans les tonneaux par parties égales, si l’on veut obtenir de la boisson uniformément alcoolisée.
Le soutirage se fait tout seul. Au bas de chaque cuve est ajustée une canelle ou chantepleure munie d’une grille très serrée qui tamise le jus à sa sortie de la cuve.
Il faut avoir soin de remuer et d’aérer le marc pendant la macération si l’on veut donner au cidre une belle couleur et une qualité supérieure.
Il est bon de rappeler que l’eau ne doit pas être trop froide. La chaleur seule dilate les cellules du fruit et extrait le sucre qu’elles renferment.
La méthode de macération appliquée à la façon du cidre épuise si bien le sucre et par conséquent l’alcool de la pomme que les animaux, si friands d’habitude du marc de pommes ordinaires refusent absolument de toucher à celui des cuves quand le jus en a été extrait. Peut-être le procédé nouveau ne parviendra-t-il qu’après certains tâtonnements et certain perfectionnement à faire le cidre de luxe, mais il est incontestablement supérieur à tous les autres pour faire la boisson, le petit cidre ou même le cidre mitoyen. »
Les almanachs étaient une lecture populaire très répandue au début du 20ème siècle.
Pour certains cette publication annuelle était la seule lecture et source de connaissance. Ils rassemblaient des conseils médicaux, horticoles ou agricoles, des recettes de cuisine, des astuces de bricolage ou autre, des contes, des réflexions, des articles historiques, des récits de faits divers… On connait surtout le célèbre Almanach Vermot mais il y en avait beaucoup d’autres. Dont l’almanach de l’Orne...
Ce qui est particulièrement intéressant dans cet article c’est que l’auteur présente ce procédé comme une innovation alors qu’il s’agit de la plus ancienne manière de fabriquer le cidre.
En Egypte, en Gaule et dans l’empire romain on produisait déjà une boisson par concassage de pommes mises ensuite à macérer dans de l’eau. Cette technique est évoquée par Pline l’ancien, écrivain et naturaliste romain du 1er siècle (23-79) dans son « Histoire naturelle » (Naturalis historia) ainsi que dans la « Vie de saint Guénolé », qui aurait vécu à la fin du 5ème et au début du 6ème siècle en Bretagne et serait le fondateur de l’abbaye de Landévennec. Au 6ème siècle également, sainte Radegonde, ancienne reine des Francs retirée au monastère de la Sainte-Croix à Poitiers consommait, selon les textes, un breuvage fabriqué de cette manière.
Ce n’est qu’au 12ème siècle qu’apparaissent les pressoirs tels que décrits dans notre article : Le cidre à l'ancienne ou c'ment on faisint l'bon cit dans l'temps