Pascal, l’un des lecteurs de ce blog, a récemment attiré notre attention sur un étrange instrument que son père utilise pour mesurer la capacité de ses tonneaux. Il est en photo à droite →
Monsieur Pierre Tardivel (âgé de quatre-vingt ans en 2017) habite dans les Côtes d’Armor. Il y a tenu une ferme pendant quarante-six ans et il a toujours fabriqué son cidre à l’ancienne.
Cette règle spéciale, graduée (dans le cas de celle de monsieur Tardivel avec des clous à tête ronde) de manière bizarrement irrégulière, est une velte ou jauge à tonneaux. Elle est en bois mais il en existe également également être en fer.
Les futailles (à cidre ou à vin) ont longtemps été fabriquées de manière artisanale. Deux tonneaux apparemment semblables ne sont pas forcément identiques et leur contenance peut réserver des surprises. Les « douelles » (nom dans notre région du Haut-Maine et Pail des pièces de bois formant les parois des tonneaux) peuvent être plus ou moins épaisses et les tonneaux peuvent être plus ou moins ventrus (on appelle « bouge » leur partie renflée).
Or, dès qu’on fait voyager les futailles pour vendre du cidre (ou du vin) il faut pouvoir en déterminer exactement la contenance. D’autant plus que, sous l’Ancien Régime, il existait des droits d’octroi (taxes sur les marchandises) payables à l’entrée des villes. Les employés chargés de les percevoir devaient pouvoir jauger rapidement les tonneaux.
Comment faire ? Il n’est pas question de vider chaque tonneau pour en mesurer la contenance !
Un tonneau peut être assimilé à un cylindre dont on calcule le volume par la formule suivante :
Cette formule doit être modifiée pour tenir compte du « bouge » ce qui donne la formule suivante :
Mais cela implique de connaitre les dimensions H, D et d qui sont les dimensions intérieures des futailles. Cela qui n’est pas évident. Et c’est là qu’intervient la velte !
Cette règle graduée d’un peu plus d’un mètre de long est introduite en diagonale par le trou de la bonde jusqu’à buter sur la partie la plus éloignée d’un des fonds.
La longueur l ainsi déterminée avec facilité dépend de toutes les autres mesures (H, D et d) qui interviennent dans la formule (et qui sont bien plus difficiles à obtenir).
Ci-dessous, Pierre Tardivel utilisant la velte.
Avec des tables de correspondance entre l et V, on peut jauger rapidement n’importe quel tonneau avec une erreur minime qui ne dépasse pas quatre litres pour deux-cents litres (soit 2%). On peut même graduer directement la velte ce qui dispense de l’utilisation des tables de correspondance.
Pour affiner le calcul, certains faisaient une mesure de chaque côté, puis la moyenne des deux. Cette double mesure est également nécessaire si le trou de la bonde est mal centré.
Ci-dessous une table de correspondance principalement utilisée dans les régions viticoles.
cm | 24,50 | 42,75 | 54,30 | 62,10 | 68,40 | 73,75 | 78,50 | 82,85 | 86,60 |
litres | 10 | 50 | 100 | 150 | 200 | 250 | 300 | 350 | 400 |
Dans notre région productrice de cidre et de poiré les « pipes » ont en général une contenance beaucoup plus importante de l’ordre de mille ou mille-deux-cents litres. Les barriques de deux-cents, trois-cents ou trois-cent-cinquante litres servant pour le pommeau ou pour la goutte.
La velte de monsieur Pierre Tardivel est en bois de châtaigner (un bois naturellement imputrescible et insecticide) et a probablement plus de cent ans. Elle mesure 1,37 m pour une largeur de 2,5 cm et une épaisseur de 1 cm. Son extrémité est biseautée
Les graduations (dont certaines ont disparu) sont matérialisées par des clous à tête ronde.
La graduation horizontale la plus haute, formée de six clous, correspond à six barriques de deux-cent-vingt litres (soit mille trois-cent-vingt litres). La graduation horizontale suivante de cinq clous correspond à cinq barriques (mille-cent litres) et ainsi de suite.
Les graduations intermédiaires matérialisées par des clous simples permettent de repérer les quarts de barrique (cinquante-cinq litres).
Pour la photo, les graduations ont été matérialisées à la craie sur la tranche pour être plus visibles.
Monsieur Tardivel introduit son doigt par la bonde pour repérer sur la velte le niveau intérieur de la « douelle » (que l’on appelle « madelle » dans les Côtes d’Armor).
La lecture de la quantité de cidre contenu dans le fut se lit grâce à la marque laissée par le liquide.
Le terme « velte » provient de l’allemand « vertel ». La velte, ou setier, était une unité de mesure de l’Ancien Régime utilisée avant que le système métrique n’unifie les différentes unités (dont la valeur variait auparavant d’une région à l’autre). Une velte valait en général huit pintes. Au fil du temps « velte » est devenu le nom de la règle servant à jauger les futailles et c’est avec cette définition qu’on retrouve ce mot dans l’encyclopédie Larousse du XIXe siècle.
« Velter » signifie : jauger avec la velte et le « velteur » est l’ouvrier qui velte les tonneaux.
Un grand merci à Pascal et Pierre Tardivel qui, par leur témoignage et leurs photos, ont permis la rédaction de cet article !
Nous avons également recueilli le témoignage du cousin de l’un de nos confrères Fin Goustier. Cette personne, qui vit en Ille-et-Vilaine, se souvenait avoir également utilisé une velte pour mesurer le lait dans l’ancien tank.
Il ne reste pas beaucoup de veltes aujourd’hui. Les règles métalliques se sont mieux conservées que celles en bois. La plupart des propriétaires n’ont pas conscience de la rareté et de la valeur de cet objet.
N’hésitez pas à nous contacter et à nous envoyer des photos par le formulaire du blog si vous en possédez une.
Suite à cet article, Jean-François Aubert, membre de l'association "Les Mordus de la pomme", association pomologique de Quévert en Bretagne (Pays de la Rance), que nous avons rencontré à plusieurs reprises à Bazouges-la-Pérouse lors de la fête du pommé en octobre, nous a écrit : "Merci pour l'article sur la velte, nous en avions exposées plusieurs il y a quelques années à notre Fête de la Pomme et un collègue en refait ! Un autre collègue a écrit dans notre bulletin des articles sur le sujet et a retrouvé les formules mathématiques pour calculer le volume d'un tonneau en relation avec la velte. Mais c'est un appareil de mesure complètement oublié."
Vous pouvez consulter le site internet en cliquant sur : www.mordusdelapomme.fr
Cette association, qui existe depuis 1987, est à l'origine de la sauvegarde de plus de cent-quatre-vingt variétés de pommes anciennes dont les greffons ont été préservés par eux lors de la construction de l'autoroute A84 et regreffés dans sept vergers d'une superficie de trois hectares espacés de Montours à Saint-Étienne-en-Coglès le long du tracé de l'autoroute.
Toujours suite à notre article, un de nos lecteur, monsieur Bernard Rouanet, nous a fait parvenir des photos d'une velte métallique :
Encore plus passionnant, monsieur Bernard Rounet, nous a fait part d'une information fort intéressante : "Il y a toujours eu des fraudeurs..., nous écrit-il. Pour augmenter l'inclinaison de la velte, il suffit de diminuer l'épaisseur de la douelle, ainsi la velte va pouvoir aller plus loin et donc indiquer une mesure augmentée."
Futé !!! Mais il nous donne également une précision :
"Pour diminuer l'épaisseur de la douelle, un ingénieux inventeur a créé un outil appelé: "VOLEUR". C'est un rabot, une lame montée sur un manche, qui était introduit par la bonde dans le tonneau et qui en le faisant tourner, rabotait et donc diminuait l'épaisseur de la douelle."
Monsieur Rouanet, qui possède un de ces outils, nous en a fait parvenir des photos.
Merci à lecteurs qui, par leurs contributions, nous permettent d'en savoir plus sur ces anciennes traditions cidricoles !
Pour plus de détails sur la velte vous pouvez vous reportez aux pages internet suivantes :
Extrait de Village de Forez n° 89-90 de Pierre-Michel Therrat
Les unités de mesure de l'Ancien Régime
Vous pouvez également consulter sur notre blog l'article sur :
Les appareils de mesure pour le cidre et l'eau de vie
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