Le 6 juin 2018, cinq Fins Goustiers en tenue et un conjoint se sont rendus en visite à la ferme cidricole d’Hugues et Corinne Desfrièches, producteurs-récoltants à L’Aunay, sur la commune de Saint-Marguerite de Carrouges. Nous avions déjà visité en 2013 cette exploitation qui produit de manière traditionnelle du calvados AOC, de l’eau de vie blanche, du pommeau de Normandie AOC, du cidre, du poiré, des jus de pomme et de poire et du vinaigre de cidre. C’est avec plaisir que nous y sommes retournés.
Vous pouvez lire le compte-rendu de notre visite de 2013 en cliquant sur le lien suivant : Chez Hugues Desfrièches
Hugues et Corinne ont racheté cette ferme qui date du 14e siècle et ses trente hectares de terrains en 2011, à un couple d’anglais qui y produisaient déjà du cidre. Hugues avait alors déjà une longue expérience dans la production cidricole.
Nous échangeons sur la situation économique de la production cidricole et sur les méthodes de fabrication des produits qui ont beaucoup évolué et permettent aujourd'hui d'avoir des cidres et des poirés d'excellente qualité.
Hugues nous emmène voir son pressoir qui n'était pas encore installé quand nous sommes venus en 2013. L'ensemble du "pressoir" forme une chaine complète de la pomme au jus.
Dans la région de Carrouges, le granite décomposé qui caractérise le sol crée des conditions très favorables à la culture des pommiers. Les dix hectares de vergers de pommes d’Hugues et Corinne sont plantés de variétés anciennes et menés en agriculture biologique (leur conversion au bio est désormais terminée). S’y ajoute un hectare de poiriers.
Les pommiers d'Hugues poussent sur pelouse épaisse. Les pommes ne sont pas gaulées. Elle tombent naturellement sans "se coffir" comme on dit par chez nous (s'abimer) et sont ramassées en plusieurs fois. Elles sont alors suffisamment mûres et un peu molles pour être broyées sans avoir été mises en tas. Hugues considère que les pommes ne sont pas faites pour être mises en tas car elles chauffent et se détériorent.
Les pommes arrivent directement à l'entrée du hangar et sont déversées à un bout de la chaine : sur la table de tri.
Puis elles avancent jusqu'au piège à cailloux : un bac profond, dans lequel les cailloux tombent et sont éliminés, et les pommes sont lavées.
Une vis sans fin les fait monter jusqu'au grugeoir où elles sont écrasées et de là le mout est directement entrainé (sans avoir eu le temps de macérer) vers la presse qui lui fait suite, formée de dix-sept mètres de toiles. Le marc est déversé directement dans la benne du tracteur de l'agriculteur qui le récupère. Pas une miette ne tombe par terre. Quand au jus il est emporté vers les citernes.
L'ensemble donne une chaine de production très propre, permettant d'éviter les bactéries.
Nous échangeons avec Hugues sur l'évolution des techniques de production. On est beaucoup plus sensible aujourd'hui qu'autrefois aux bactéries et à l'oxydation. Aujourd'hui on bannit le fer de la chaine du cidre car il en est l'ennemi (le fer oxyde la pomme et le jus, ce qui donne un gout désagréable au cidre). De même on ne laisse plus macérer le mout dans des cuviers tout une nuit comme on le faisait autrefois car l'oxydation en surface est alors trop importante. La propreté de l'ensemble est très surveillée alors qu'on n'hésitait pas autrefois à calfater les interstices d'une table de pressoir avec un mélange de bouse et de farine.
Le cidre et le poiré d’Hugues et Corinne sont naturellement gazéifiés avec les levures naturelles. Cette fermentation lente permet une prise de mousse sans gazéification artificielle avec du CO2. De plus leurs cidres et leurs poirés en sont pas pasteurisés.
Après le pressoir nous nous rendons dans le caveau où se trouvent les immenses citernes à cidre et à jus, en inox ou en fibre de verre (pour les jus). C'est là que se produit la fermentation. Cette année Hugues n'a pas encore mis en bouteille car son cidre est encore à 1036/1037. Rappelons que l’avancée de la fermentation alcoolique (transformation du sucre en alcool) est surveillée en « pesant le cidre » au moyen d’un densimètre à cidre qui mesure sa richesse en sucre. Selon la quantité de sucre encore contenue dans le liquide le cidre est à 1030 (cidre doux), 1020 (cidre demi-sec) et 1015 (cidre sec). Cette année le cidre travaille très lentement.
Plus de détails sur l'utilisation du densimètre à cidre en cliquant sur le lein suivant : Les appareils de mesure pour le cidre et l'eau de vie
Hugues nous fait gouter du poiré, il est encore trouble mais déjà d'un gout excellent.
Nous passons dans une deuxième cave où sont entreposées les bouteilles de cidre bouché et de poiré. C'est là que s'effectue la prise de mousse naturelle : les levures contenues dans le jus continuent la fermentation commencée dans la cuve et ayant transformé le jus en cidre ou en poiré, mais le processus ayant lieu dans une bouteille hermétiquement bouchée, le gaz reste et donne le pétillant.
Nous profitons de notre passage dans cette cave pour récupérer les échantillons qu'Hugues présente au concours de produits cidricoles de la Confrérie des Fins Goustiers. Il a souvent récolté des prix lors de ce concours et présente aussi ses produits au concours de Vimoutiers et au concours général de Paris, là aussi avec succès.
La cave suivante est celle des jus. Précisons que toutes ces caves se trouvent dans des bâtiment restaurés datant du Moyen Âge avec des murs en pierre extrêmement épais, jointoyés de terre jaune à l'origine (les joints ont été refaits) ce qui assure une température assez stable et fraiche.
Le sol de cette cave est en dalles à structure alvéolée, remplies de sable ce qui contribue à maintenir la fraicheur tout en permettant au sol de respirer.
Hugues nous explique que beaucoup de jus de fruit sont aujourd'hui à base de concentré (une pâte de fruit qui tient moins de place lors du transport que du jus) additionné d'eau. D'où l'importance de toujours choisir des jus 100% pur jus, si possible bio. Fort heureusement la demande de jus de fruits augmente. Un enfant qui boit de bons jus de fruit forme son gout, un buveur de jus de pomme sera peut-être un futur amateur de cidre !
Hugues vend des jus de pomme, de poire et de pomme/poire, pasteurisés sur place.
Nous lui parlons des expériences de "mobipresses", "Mouvi'Press", "Pressi-mobile", "Movipresse"... (presse mobile sur roues) mises en place par le parc naturel régional Normandie-Maine et la région de Fougères. Les particuliers ou les agriculteurs peuvent venir y faire presser leurs pommes et repartir, pour un cout modique avec du jus embouteillé se conservant deux ans. Ces initiatives contribuent à promouvoir les jus de fruits.
Nous passons ensuite dans la cave des tonneaux. Sans doute la plus belle !
Là dorment des cidres, des pommeaux et du calvados.
Depuis notre dernière visite en 2013, Hugues a installé un étage où sont entreposés des tonneaux de pommeau.
Hugues nous explique que les tonneaux ayant déjà contenu du vin sont meilleurs pour la conservation du pommeau que les tonneaux neuf. L'idéal étant les tonneaux ayant contenu du Porto...
Ces caveaux (et la salle de dégustation-vente) abritent une magnifique collection d’outils anciens en rapport avec la fabrication du cidre et des tonneaux et avec l’arboriculture. Nous l’avions admirée en 2013, mais la collection d’Hugues s’est encore étoffée et il a encore dans ses tiroirs des objets à accrocher aux murs !
Des coupe-gui. Autrefois les mairies pénalisaient les propriétaires laissant le gui se développer sur leurs pommiers.
Nous terminons notre visite dans par la salle de dégustation-vente où Hugues nous fait gouter ses produits et où nous continuons notre discussion sur la situation économique de la production cidricole. Il est choquant que le cidre soit vendu moins cher que le Coca ! Mais il pâtit encore d'une mauvaise image dans le public (le cidre, c'est la boisson du paysan, le petit-cidre pour les ouvriers agricoles, le cidre trop âpre ou trop sucré...). Alors qu'existent aujourd'hui des produits (comme le poiré, mais aussi de très bons cidres) qui, à l'apéritif, en mangeant ou dans la cuisine rivalisent avec des vins, des mousseux ou même du champagne.
Comme le disait Hugues : "Avec un bon poiré, n'hésitez pas à sortir les coupes !"
Hugues est hélixophile (on peut aussi dire pomelkophile) c'est à dire collectionneur de tirebouchons ! Et il en a une belle collection accrochée au dessus de son comptoir.
Corinne nous rejoint peu avant notre départ et nous avons le temps d'échanger également avec elle.
À côté de la production cidricole, les Desfrièches, qui ont superbement restaurés les bâtiments anciens, ont également installé deux chambres d’hôtes (labellisées Gites de France) dont une chambre familiale, adaptée aux personnes à mobilité réduite, et une chambre double. Elles permettent des séjours dans un cadre champêtre à la découverte du métier de cidriculteur. Ils ont également installé une aire d’accueil pour les camping-caristes et sont inscrits dans le réseau France-Passion.
Pour des infos sur ce réseau cliquez sur le lien suivant : www.france-passion.com
Aujourd'hui les gens aiment la vente directe, les circuits courts, le contact avec le producteur et ceux qui viennent à la ferme pour un séjour repartent avec des produits. Ce type d'initiative associant production cidricole et chambre d'hôte ou accueil de camping-cars est un atout pour la promotion des produits.
La ferme cidricole de L’Aunay est ouverte au public tous les jours de 10 h à 19 pour la vente directe et pour la visite, individuelle ou de groupe sur rendez-vous. Tout le site est labellisé Tourisme et Handicap.
Pour plus d’information vous pouvez vous reporter au site de l’exploitation en cliquant sur le lien suivant : Corinne et Hugues Desfrièches
En mars 2019, les Desfrièches obtiennent une médaille d'or au Salon International de l'Agriculture de Paris pour leur cidre bio fermier demi-sec avec prise de mousse naturelle, après avoir déjà obtenu une médaille d'or pour leur cidre brut en 2018.